Entretien avec le sculpteur Alain Choisnet

- Pour commencer, je vous laisse vous présenter et nous parler de votre parcours, de vos sujets de travail préférés, de la matière qui vous inspire le plus :

 

Je suis né en Bretagne en 1962 au pied du magnifique château de Fougères, mais c’est en banlieue parisienne que j’ai grandi. Les bancs de l’école m’ont retenus jusqu’à l’appel de la vie active qui eut sur moi un pouvoir plus attractif que les études supérieures. Néanmoins des études philosophiques, parallèles au cursus universitaire, m’ont apporté une solide compréhension de l’être humain. Cette connaissance m’a énormément aidé à m’affirmer en tant qu’artiste. 

 

La terre et la plastiline sont actuellement les matériaux sur lesquels je travaille le plus. En ce qui concerne la terre, mes outils sont les plus rudimentaires qui soient : un ébauchoir, une mirette, une éponge et des pinceaux. Ah, j’oubliais le repousse-peau en bois (qu’on utilise pour les cuticules des ongles) et qui est mon outil préféré pour réaliser les détails des visages en terre. Le féminin m’inspire énormément. Mes sculptures cherchent à véhiculer des messages apaisants au travers de l’esthétisme du corps et des poses féminines. 

 

- Quelles sont vos sources d'inspirations ? - Sauriez-vous expliquer à quel moment vous vient l'inspiration ? 

 

Mes sources proviennent en grande partie de photographes d’arts, de magazines féminins, d’attitudes captées au hasard de la vie. Je laisse rarement l’inspiration venir à moi. Je vais la chercher et ne la provoque que lorsque je sens le moment venu de m’investir dans une nouvelle création. Je suis extrêmement frustré lorsque je ne peux mettre en forme immédiatement ce que j’imagine faute de temps ou de moyens. 

 

- Et votre artiste préféré ? Est-il lui aussi une source d'inspiration ? 

 

Les sculpteurs du 19ème siècle me sont très proches. Je considère avec beaucoup de respect le travail des Carpeaux, Barrias, Rodin, Pradier… Et tous ceux qui ont su embellir nos villes et nos intérieurs de leurs créations. Il me suffit d’admirer quelques unes de leurs œuvres pour que mon désir de créer s’enflamme. C’est en ce sens qu’ils sont pour moi une source inépuisable d’inspiration. 

 

- Avant la sculpture, aviez-vous d'autres pôles d'attractions ou ce talent vous a t-il toujours habité? Quand et comment avez-vous décidé de vous mettre à la sculpture ? 

 

De mémoire j’ai toujours cherché à travailler la matière pour lui faire prendre une forme plus esthétique. Que ce soit le papier, le bois, l’acier, le plâtre ou la terre, tout est bon pour stimuler mon envie de créer. Ma première rencontre avec l’argile remonte à plus de trente ans mais j’ai ignoré très longtemps les possibilités de création quasi illimitées qu’elle offrait. A mon sens je n’étais pas encore prêt à les exploiter. 

 

- Avez vous toujours sculpté sur les mêmes matériaux ? 

 

Non. Par exemple quelques une de mes œuvres les plus significatives ont été réalisées en livres et en cassettes audio pour une grande maison d’édition. Le simple poids de ces articles assure une cohésion qui permet quelques possibilités de montages. Des navires, Tour Eiffel, voitures (taille réelle), Arc de Triomphe et des dizaines d’autres œuvres éphémères ont pu ainsi voir le jour et confirmer mon aptitude à travailler en 3D. 

 

- Quel moment préférez-vous lorsque vous concrétisez une idée de sculpture ? 

 

C’est l’instant où après m’être arrêté sur une attitude je la sublime par la pensée avant de la transposer dans la matière. Cette étape est jouissive car l’œuvre est véritablement créée à ce niveau. Le travail de la terre n’est que l’étape technique qui permettra de matérialiser le concept du départ le plus fidèlement possible. La distorsion entre les deux n’est souvent due qu’au manque de précision de la création première. Le moment où je suis le plus réceptif est lorsque je viens de terminer une pièce. Je suis de nouveau libre mentalement pour me projeter dans une nouvelle création. Bizarrement, dès cette liberté acquise je ne cherche plus qu’à m’enfermer dans un nouveau projet. 

 

- Est-il facile de vivre de sa passion, en l'occurrence de votre art ? 

 

Le chemin peut parfois sembler long pour vivre exclusivement de son art. La création de bronzes suppose un investissement important avant de pouvoir présenter un nombre de modèles suffisant pour monter une exposition qui tient la route. L’entourage est également très important pour s’épanouir dans le milieu artistique. J’ai la chance d’être soutenu et encouragé par l’ensemble de ma famille et de nombreux amis. Ce support est essentiel pour surpasser les périodes de doutes. 

 

- Quels sont les projets d'art qui vous tiennent le plus à coeur dans l'avenir ? 

 

Travailler sur un projet de sculptures urbaines afin d’embellir nos très nombreux ronds point, nos places ou nos rues de scènes de vie immortalisées dans le bronze. 

 

- Etes vous sensible aux critiques artistiques ? 

 

L’art n’étant qu’une affaire de ressenti variant d’un individu à un autre selon son humeur, je comprends tout à fait lorsque mes créations ne séduisent pas et cela me touche de moins en moins lorsqu’un point de vue s’exprime en ma défaveur. Mais j’accepte volontiers des conseils pour améliorer ma technique, car je pense avoir encore beaucoup à apprendre. 

 

- Qu'est-ce qu'une sculpture réussie selon vous et vos critères propres ? 

 

Un philosophe a dit « l’Art est un mot qui résume la qualité de la communication ». Une sculpture qui communique au plus grand nombre l’émotion que j’avais imaginée au départ me semble réussie. Ce n’est pas forcément celle qui, techniquement, me semble parfaite. J’ai aussi appris à ne pas donner mon propre point de vue à celui qui admire l’une de mes sculptures. Ce qui se passe entre un spectateur et une œuvre lui appartient, et personne ne doit intervenir. Il verra peut-être dans ma création quelque chose que je ne perçois pas. L’imagination de celui qui regarde ne doit pas être polluée par des explications. C’est la raison pour laquelle je ne commente jamais mes sculptures. Et c’est aussi pourquoi je n’aime pas les formules prémâchées des soi-disant experts en art qui décortiquent une œuvre et imposent leur point de vue au lieu de laisser rêver les gens. N’est-ce pas le but de l’artiste, faire rêver son prochain, le laisser penser en toute intégrité ? 

 

- Comment pourriez-vous définir vos oeuvres ? 

 

Comme je vous le disais l’ensemble de mon travail cherche à véhiculer des messages positifs et apaisants. La beauté du corps féminin me semble être un vecteur tout à fait approprié pour transmettre des valeurs rassurantes. 

 

- Quels sont pour vous les avantages de votre métier ? 

 

Je ne parlerais pas de métier mais plutôt de passion. La possibilité que j’ai de l’assouvir me semble être le plus grand des privilèges. 

 

- Y a t-il quand même des inconvénients à votre métier ? 

 

Pécuniairement le métier d'artiste peut parfois paraître incertain. Mais puisque nous parlons de passion je n’y vois que du bonheur ! 

 

- Comment se passe une journée de travail ? 

 

Dans un univers plutôt ordonné. De façon à rester concentré sur rien d’autre que la pièce en cours, j’évolue dans un atelier où aucune autre œuvre n’est entamée et non achevée. Par expérience cela me permet d’aller jusqu’au bout d’un projet plus facilement et plus rapidement. Et en musique. La musique est un très bon support pour moi lorsque je crée. Mais pas n’importe laquelle non plus. Difficile d’évoquer un concept de douceur sur du hard rock ! Lorsque je bute pour représenter ce que j’avais imaginé je préfère prendre du recul. Je m’arrête parfois pendant plusieurs jours afin d’y revenir avec un œil neuf. Je travaille rarement une journée entière sur une sculpture. Dès que l’exercice devient imposé la qualité de ce que je produis s’en ressent. Je me donne la liberté de créer ou de ne pas créer. Idéal non ? 

 

 

- Quelles expositions avez vous vu récemment? En avez vous à conseiller? Et y en a t-il que vous attendez impatiemment ? 

 

La dernière était une nouvelle visite au Grand Palais. Par ailleurs, en sillonnant chaque jour Paris en scooter, j’adore découvrir une sculpture au détour d’un square ou d’un parc, ou lécher les vitrines des galeries place des Vosges ou du Carré Rive Gauche. Je visite aussi régulièrement les antiquaires du Carré du Louvre ou du Village Suisse. 

 

- Et vous, allez vous exposer prochainement ? 

 

Oui, je n'arrête pas. Je retourne en Asie prochainement où l'art français à une place à prendre. Je suis également représenté en Belgique, et en Allemagne. 

 

- Quels conseils donneriez-vous aux jeunes sculpteurs ? 

 

Pratique, persistance, intégrité artistique et communication. La réussite à mon sens tient au bon dosage de ces facteurs. 

 

- Un mot pour finir ? 

 

Il est très facile de démolir un artiste et de saper son talent. Certains s’y emploient subtilement. C’est pourquoi il est vital de s’écarter de personnes dénigrant ou rabaissant l’artiste lui-même ou son art. De nombreux artistes passés ayant été soumis à des pressions ne leur permettant pas de s’épanouir pleinement a longtemps fait dire qu’il fallait être mal dans sa peau pour produire des œuvres sublimes. C’est aussi vrai que la Joconde est blonde ! Eloignez la source du dénigrement et vous verrez l’artiste renaître et produire ses plus belles œuvres. Tout ça pour dire qu’un artiste a une immense valeur pour notre société et qu’il ne doit pas se laisser discréditer mais au contraire croire en ses aptitudes et créer à profusion ! Merci de m’avoir donné la parole.

 

 

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